Ces derniers temps, les exactions militaires contre les populations civiles dans le Sahel central et plus particulièrement dans la zone dite des ‘’Trois frontières’’ semblent augmenter de façon inquiétante. Et pourtant, à y voir plus clair, on concèderait volontiers que ces pratiques qui, au demeurant, ne constituent que des violations pures et simples du droit international humanitaire, ont pignon sur rue depuis belle lurette dans cet espace géographique, avec un accent particulier au Mali.
On a encore en mémoire les nombreuses accusations portées contre les Forces Armées Maliennes (FAMA), par certaines organisations de défense des droits de l’homme, suite à des preuves irréfutables d’exactions contre les civils ou alors à de découvertes de charniers dont il a été prouvé que des soldats maliens en étaient les auteurs. Rappelons qu’en juin 2018, suite à la découverte de charniers près de Nantaga (cercle de Mopti), une commission d’enquête diligentée par le ministre de la Défense avait conclu à l’implication effective de certains éléments des FAMA dans des violations graves ayant entrainé morts d’hommes dans les localités de Nantaga et de Kobaka. A cet effet, le ministre de la Défense et des Anciens Combattants avait instruit au procureur militaire d’ouvrir une enquête judiciaire. Mais la suite, nous la connaissons. R.A.S comme d’habitude et la série noire a continué. Si tant ont été les exactions commises contre les populations civiles, notamment contre les communautés peules, et qui ont mis les Forces Armées Maliennes sur la sellette, il faut aussi reconnaitre que les armées des autres pays du Liptako Gourma, appelé la zone des ‘’Trois Frontières’’, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ne sont pas exemptes, elles non plus, de reproches sur leurs territoires respectifs. Mais le plus incongru, face à de telles violations du droit international humanitaire, est le mutisme par lequel s’est jusque-là illustrée la France qui, pourtant est la locomotive de la lutte contre le terrorisme dans ladite zone et par conséquence, la principale alliée des pays du Sahel central.
Ce silence longtemps observé par la France n’aurait-il pas contribué à accentuer la pratique par les armées nationales des pays du Sahel, des exactions contre les populations civiles ?
En tout cas, maints observateurs et autres spécialistes de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel s’accordent à voir en ce silence de la France, une espèce de ‘’complicité’’ dans les actes de violation du droit international humanitaire. Eh bien comme pour se dédouaner et montrer patte blanche, la France qui est universellement connue comme le pays des droits de l’homme, a finalement décidé de rompre le silence en critiquant ses partenaires du Sahel et en menaçant même de remettre en cause le soutien international si le non-respect du droit international devait continuer et se développer dans cet espace géographique. Pour signifier cette prise de position de la France vis-à-vis de ses partenaires du Sahel, Florence Parly, la Ministre française des Armées a insisté, dans l’après-midi du jeudi 18 juin 2020, devant les sénateurs de la commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées, sur la nécessité pour les pays sahéliens de faire respecter les droits humains dans leurs pays, après les accusations d’exactions portées contre leurs armées nationales. « Je crois en tout cas que les responsables politiques des pays sahéliens sont parfaitement conscients de l’enjeu. Ils mesurent pleinement la distance qui se creuse chaque fois que des exactions sont commises entre les populations et puis les autorités du pays. Or précisément, tout l’enjeu de cette relance qui a eu lieu au sommet de Pau, c’est de recréer de la confiance. Et nous ne pourrons pas gagner les cœurs collectivement si des exactions telles que celles que l’on peut constater depuis plusieurs mois maintenant se développent et se perpétuent. Puis il y a aussi je crois, une claire conscience que le soutien international dont nous parlons et qui ne se dément pas pourrait à l’inverse être remis en cause si ce non-respect du droit international humanitaire devait se développer » a déclaré Florence Parly devant les sénateurs français.
Il faut dire que cette sortie de la Ministre française des Armées se situe juste au lendemain de la publication d’un rapport d’Amnesty International qui épingle, sans concession, les armées nationales du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Selon le rapport en question, au moins 199 personnes ont été victimes des Forces de Défense et de Sécurité entre février et avril 2020. Et de préciser que ce chiffre constitue, par ailleurs, une estimation à la baisse. Des avis de bon nombre d’analystes, c’est surtout au sortir du sommet entre le G5-Sahel et la France, tenu à Pau en janvier dernier, que les armées nationales des pays du Sahel ont commencé à subir une pression politique de la part de leurs dirigeants. De ce fait, les armées en question ont été mues par une propension à vouloir, coûte que coûte, prouver des résultats dans leur mission de lutte contre le terrorisme. Toute chose qui les a entrainés vers un relâchement de leur méthode opératoire, notamment en ce qui concerne le respect du droit humain et du droit international humanitaire, avec pour corollaire des exactions contre les civils. Une telle dérive pourrait bien perdurer dans la mesure où les autorités des pays concernés s’évertuent souvent à nier l’évidence dans le but de protéger leurs Forces Nationales de Défense et de Sécurité et cela malgré les récurrentes dénonciations de certaines associations communautaires et aussi des organisations de défense des droits de l’homme. Si aujourd’hui la France condamne ces violations du droit international humanitaire, on pourrait peut-être espérer que cela contribuera à freiner, sinon amoindrir, les exactions contre les civils dans la zone du Sahel central.
El Hadj Mamadou GABA
Leave A Comment