CE N’EST PEUT-ETRE QUE PARTIE REMISE
« Il y a eu plus de peur que de mal’’ serait-on tenté de dire à propos du rassemblement politico-religieux qui a eu lieu à Bamako le vendredi 5 juin 2020. Cette mobilisation grandiose dont la finalité était, selon ses initiateurs, de pousser à la démission la première institution de la République, à savoir le Président de la République, avait été sérieusement redoutée par les gouvernants du pays alors que du côté de la très grande majorité des forces vives de la nation, on s’impatientait plutôt de voir ce mouvement populaire aboutir, avec au finish l’atteinte de l’objectif visé.
A bien y disserter, on concéderait volontiers que les sentiments éprouvés par les deux bords (les gouvernants et les forces vives), quoiqu’à l’antipode l’un de l’autre, sont tout de même légitimes. En effet pour les gouvernants, une démission sous contrainte du Président de la République conduirait inévitablement à un cataclysme au sein de la République avec pour corollaire la fragilisation, sinon la suspension de toutes les institutions pays. Par contre les forces vives de la nation ont tenu à signifier leur ras-le-bol aux autorités du pays, en particulier au Président de la République, face à la mauvaise gouvernance. Quoi qu’il en soit, le rassemblement tant redouté par les tenants du pouvoir d’Etat s’est tenu mais le cataclysme qui aurait pu s’en suivre n’a pas eu lieu dans la mesure où on n’est pas parvenu à contraindre le Président de la République à la démission. Mais ce n’est peut-être que partie remise en ce sens que les manifestants ont finalement consenti à mettre un bémol à l’objectif qu’ils avaient visé, à savoir contraindre le Président de la République à la démission. Un bémol qui a plutôt consisté à lancer un ultimatum en direction du Chef de l’Etat.
« Cette mobilisation n’est qu’un début contre le régime IBK. Et elle va continuer. Je jure que si ce rassemblement ne lui sert pas de leçon, l’histoire racontera la manière dont son pouvoir prendra fin… » a prévenu l’Imam Mahmoud Dicko.
D’autre part, nous savons que la Loi Fondamentale du Mali dispose en son article 36 alinéa 2 que : « En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le président de l’Assemblée Nationale… ». Eh bien, dans leur mise en garde à l’endroit des autorités publiques, les manifestants ont signifié qu’il ne sera pas question pour les citoyens de s’accommoder de l’application de cette disposition constitutionnelle, la prochaine fois que le peuple se manifestera. Tout compte fait, l’enseignement que l’on peut tirer de cette manifestation populaire qui, à bien des égards rappelle ‘’la Révolution des œillets’’ de 1974 au Portugal, est que les gouvernants, notamment le Président de la République, gagneraient plutôt à changer de méthode de gouvernance en donnant des signes tangibles de lutte contre la corruption, l’insécurité, le népotisme, le favoritisme et bien d’autres tares constitutives de la mauvaise gouvernance. Certes ce n’est pas la première fois que le peuple manifeste son ras-le-bol face à la mauvaise gouvernance, depuis l’accession du Président IBK à la magistrature suprême de l’Etat. Mais il faut dire que si jamais il devait y avoir une autre manifestation politico-religieuse avec le même objectif que celle du 05 juin 2020, cela pourrait à coup sûr sonner le glas du régime en place. Quitte à plonger le pays dans un abîme total. Ce qui serait vraiment dommageable non seulement pour les gouvernés mais aussi pour les gouvernants qui en pâtiront le plus.
Le pouvoir d’Etat gagnerait alors à écouter le peuple et s’efforcer de satisfaire ses revendications, ne serait-ce qu’en partie. Depuis l’avènement de la troisième République sous nos cieux, régime n’a jamais été aussi contesté que celui d’IBK. Et pourtant, pour son accession à la magistrature de l’Etat en 2013, le candidat IBK avait été pratiquement plébiscité par les Maliens qui voyaient en lui le sauveur. On serait alors porté à s’interroger sur les raisons d’un soudain désamour entre les Maliens et leur président plébiscité il y a seulement quelques années ? Eh bien en réponse à ce questionnement, les observateurs sont unanimes à pointer du doigt, une gestion chaotique et clanique des affaires publiques. D’ailleurs les actuels tenants du pouvoir d’Etat sont eux-mêmes conscients de leur impopularité auprès des masses laborieuses. C’est donc sans grande surprise qu’on a vu, dès l’annonce du rassemblement politico-religieux du 05 juin 2020, le sommet de l’Etat trembler et les institutions de la République tenter, chacune selon sa stratégie, de désamorcer cette ‘’bombe’’ tant redoutée par les tenants du pouvoir d’Etat.
Ainsi le gouvernement s’est empressé d’envoyer des missions de bons offices auprès de certains dignitaires religieux musulmans.
La Cour Constitutionnelle, pour sa part, s’est fendue d’un communiqué pour mettre en garde contre de probables dérapages au cour de la manifestation en question. L’Assemblée Nationale, par le biais de son bureau, a demandé par lettre datée du 02 juin 2020 et destinée au président de la CMAS, de rencontrer ladite organisation le mercredi 03 juin 2020 à partir de 14 heures dans la salle Aoua Keïta de l’Assemblée Nationale. Mais nonobstant les interventions des institutions de la République, le rassemblement a quand même eu lieu et les manifestants se sont exprimés haut et fort avec au finish une mise en garde ou plutôt un ultimatum à l’endroit du pouvoir d’Etat. S’il est vrai qu’après ce mouvement de foule, les gouvernants du pays ont poussé un ‘’ouf’’ de soulagement dans la mesure où la première institution de la République s’en est sortie indemne, il n’en demeure pas moins vrai cependant que l’ultimatum lancé par les manifestants constitue désormais une épée de Damoclès. Tout compte fait, au regard de la grande appréhension suscitée par cette mobilisation politico-religieuse, il siérait que le Président de la République s’adresse à la Nation dans un bref délai, en vue de calmer les esprits. Mais attendons pour voir.
El Hadj Mamadou GABA
Leave A Comment