D’éminents sociologues et autres spécialistes d’études sur les relations humaines avaient longtemps tiré sur la sonnette d’alarme quant à la prédisposition des leaders religieux musulmans à s’immiscer insidieusement dans l’arène politique au Mali. Mais à bien réfléchir, on admettrait volontiers que cette immixtion des religieux dans la sphère politique trouve principalement son essence dans la démission, l’incapacité de la classe politique à pleinement jouer le rôle qui lui est dévolu. Il serait superflu de dire que, entre les religieux et les acteurs politiques, il existe une certaine connexité qui pourrait s’avérer très dangereuse pour le fonctionnement de l’Etat. La dangerosité de cette connexité réside surtout dans le fait qu’elle s’est tellement ancrée que finalement la bonne marche de l’Etat et la sérénité des autorités publiques deviennent tributaires des desideratas des plus hauts dignitaires musulmans.
La récente manifestation politico-religieuse placée sous l’égide de l’imam Mahmoud DICKO nous en a donné la preuve. A l’annonce de cette mobilisation populaire, compte tenu du simple fait qu’elle soit conduite par le guide religieux, toute la République s’est mise à trembler du sommet à la base. Si aujourd’hui, bien que la République ait officiellement un caractère laïc, les dignitaires religieux, notamment ceux musulmans, arrivent à en imposer aux autorités de l’Etat, c’est bien parce que tout simplement la classe politique, toutes tendances confondues, s’illustre par une incapacité notoire à assumer ses responsabilités dans l’acheminement de la vie de la nation. Il est vrai et indéniable qu’en leurs qualités de citoyens jouissant de tous leurs droits civiques et civils, les dirigeants musulmans ont, eux-aussi, le droit et même le devoir de participer à l’œuvre de l’édification nationale, mais il n’en demeure pas moins vrai aussi que dans ladite œuvre d’édification nationale, chacun doit jouer sa partition dans les limites de ses attributions. Nous sommes dans une nation civilisée qui confère, à chaque structure de la société et par ricochet à chaque citoyen, un rôle bien déterminé qu’il convient d’exercer dans des conditions convenues et arrêtées. Mais en réalité, à bien observer les choses, on serait porté à se dire qu’en certains moments, notre élite musulmane outrepasse ses attributions qui doivent normalement consister à éduquer le peuple suivant les préceptes de l’islam, en prêchant la probité à l’endroit des citoyens (les fidèles) tout en exhortant le pouvoir temporel à œuvrer pour une paix et une justice sociale.
Le plus aberrant dans le comportement de nos dignitaires religieux est qu’en s’immisçant dans un domaine qui n’est pas le leur, à savoir le domaine politique, il leur arrive souvent de s’illustrer par des partis pris qu’ils ne se gênent d’ailleurs pas à exhiber et de s’en glorifier.
Or, selon les préceptes de l’islam, un musulman et de surcroit un dignitaire doit être en bon terme avec tous les musulmans et faire preuve d’une équité irréprochable envers tous les hommes, musulmans et non musulmans. Mais en franchissant le seuil de l’arène politique et en extériorisant leurs aversions à l’endroit d’un quelconque acteur (d’obédience musulmane quand même) de cette arène-là et en exprimant de vive voix leurs soutiens à l’endroit d’un autre acteur (d’obédience musulmane aussi), nos dirigeants religieux rament déjà à contrecourant d’un des préceptes si chers à l’Islam, à savoir l’équité entre les musulmans. Bien sûr que c’est un secret de polichinelle que dire, l’immixtion de nos leaders religieux dans la sphère politique n’est motivée que par le profit matériel qu’ils en tirent. Il suffit d’ailleurs de passer quelques jours dans le sérail de nos célèbres ‘’Ulémas’’ pour se faire une idée du train de vie qu’ils mènent. Ils n’ont pratiquement rien à envier, du point de vie luxe, aux hauts dirigeants politiques et administratifs qu’ils ne finissent pas de vouer publiquement aux gémonies en les accusant, sans preuve, d’être ‘’les affameurs du peuple’’. Ce qui est indéniable, et c’est un secret de polichinelle aussi, est que ces prétendus ‘’affameurs du peuple’’, pour bien taper dans le mille, ont toujours fait recours aux dignitaires religieux moyennant des liasses de billets de banque. Cela est connu et aucun des dignitaires religieux de renom, de ce pays-là, ne fait exception à la règle.
Puisque l’appétit vient en mangeant, certains parmi les dignitaires religieux, à force d’être sollicités par la classe politique, se sont finalement crus incontournables et investis de missions qui, normalement auraient dû échoir à la classe politique qui, malheureusement est incapable de l’accomplir.
C’est bien sûr, se targuant d’une popularité incontestable qui est la leur, que lesdits ‘’Ulémas’’ se sont portés au-devant de la scène pour poser des actes qui contrastent avec le rôle de dignitaire religieux et qui a consisté à tenter ‘’d’abattre politiquement’’ un musulman pour le compte et les intérêts d’un autre, qu’il soit musulman ou pas.
C’est dire alors, cette immixtion incongrue du spirituel dans le temporel, est tout simplement un déshonneur pour la classe politique malienne, toutes tendances confondues, dans la mesure où elle donne l’impression de se cacher derrière la religion pour s’exprimer. Cela est tout simplement infamant pour nos hommes politiques. Si le religieux qui est plutôt attendu sur le plan spirituel dérape pour se retrouver dans le landerneau politique, il revenait automatiquement à la classe politique de faire un rappel à l’ordre, quel que soit le rang social du dignitaire religieux en question. Mais hélas et milles fois hélas.
El Hadj Mamadou GABA
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