Besoin est-il encore de spéculer sur le caractère combien opportuniste par lequel la classe politique malienne ne finit pas de s‘illustrer ? En tout cas, à bien disserter sur les tenants et les aboutissants de ce début de la VIème législature au Mali, on déduirait aisément que nos acteurs politiques ne sont mus que par la défense de leurs intérêts, au demeurant égoïstes, quitte à sérieusement hypothéquer l’essor de l’exercice d’une vraie démocratie multipartite sous nos cieux. On ne dénoncera jamais assez, depuis une trentaine d’années, que le Mali vit sous l’ère de la démocratie multipartite, le fait que l’élite politique malienne n’ait pour principale et unique visée que la quête effrénée des délices du pouvoir d’Etat. Toute chose qui prédispose les acteurs de l’arène politique malienne à opter pour des pratiques qui jurent, parfois, avec l’éthique. Peu importe pour eux que cela serve à prêter le flanc à une marche à reculons de la démocratie multipartite au Mali. Eh bien, la VIème législature du Mali sous l’ère de la démocratie multipartite pourrait en être une parfaite illustration, si l’on se réfère à la récente formation des groupes parlementaires au sein de l’Assemblée Nationale. En effet, à l’issue de la plénière tenue le mardi 26 mai 2020 au CICB, la chambre des députés a procédé à la mise en place des groupes parlementaires qui doivent désormais animer l’hémicycle.
Il est ressorti de cet exercice, que sur un total de six (6) groupes parlementaires constitués, cinq (5) ont rallié la mouvance de la Majorité présidentielle et un (1) seul parti, à savoir l’URD, constituant le groupe parlementaire ‘’Vigilance Républicaine et Démocratique’’ (VRD) est demeuré à l’opposition parlementaire avec ses 19 députés. Ainsi, la configuration de la chambre des députés de la VIème législature se présente comme suit : Le parti présidentiel, le RPM, avec ses 51 députés apparait comme la première force politique du pays et comme locomotive de la Majorité présidentielle à l’hémicycle. Il est secondé au sein de ce courant majoritaire par l’ADEMA-PASJ qui revendique 25 députés élus sous ses couleurs. Ces deux ténors de l’arène politique malienne ont été rejoints, au sein de la Majorité présidentielle par le groupe parlementaire ‘’Benso’’ constitué des députés militants de l’ADP-Maliba, de la CODEM, du PRVM, du PARENA (un député) et même de la SADI de Oumar Mariko. La Majorité présidentielle a, par ailleurs, été grossie par l’adhésion, en son sein, du groupe parlementaire formé par les députés issus du MPM, de l’UDD et de l’APR auxquels se sont ajoutés quelques députés indépendants. Enfin le cinquième groupe parlementaire qui a adhéré à la mouvance de la Majorité présidentielle est le MRD (Mouvement pour le Renouveau Démocratique) formé par les députés issus de l’UM-RDA, de l’ASMA-CFP, du PDES, du PS-Yélen Koura, du MPR et d’un autre député du PARENA. Signalons qu’une troisième mouvance qui s’est dégagée de cette plénière est celle des ‘’Non-Inscrits’’, incarnée par les trois députés du parti ‘’YELEMA’’ de Moussa Mara. Eu égard à cette configuration de la chambre des députés de la VIème législature, il est aisé de constater qu’à l’exception de l’URD (opposition) et du YELEMA (non-inscrit), toutes les autres formations politiques du pays ont choisi de s’affilier à la Majorité présidentielle avec pour principal leitmotiv, soutenir et défendre le projet de société du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, pour son second quinquennat. Ce serait une lapalissade que dire, une telle adhésion massive des partis politiques à la mouvance de la Majorité présidentielle n’augure nullement de lendemains meilleurs pour notre système démocratique dans la mesure où cela contribue plutôt à réduire l’opposition politique à sa plus simple expression en la rendant pratiquement aphone.
Toute chose qui prête le flanc à une démocratie monopartite qui ne dit pas son nom, tout comme, il nous a été donné de voir au cours des quatre quinquennats des Présidents Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré.
Rappelons que pendant la décennie 1992-2002, le Mali (prétendu) multipartite a littéralement vécu sous le régime du parti présidentiel d’alors, l’‘’Alliance pour la Démocratie au Mali- Parti Africain pour la Solidarité et la Justice’’ (ADEMA-PASJ). Toute la crème de la classe politique malienne ne jurait que par l’ADEMA-PASJ de telle sorte que toute autre formation politique n’avait pas voix au chapitre. En quelque sorte, de 1992 à 2002, le pays a vécu sous une espèce de régime monopartite qui ne disait pas son nom. La démocratie multipartite n’était en réalité que théorique dans la mesure où c’était le pouvoir d’Etat qui détenait toutes les cartes et ne se connaissait aucune opposition digne de ce nom. C’était le règne sans conteste et sans partage de l’ADEMA-PASJ. L’Assemblée Nationale était pratiquement monocolore. Après cette première décennie d’une soi-disant démocratie multipartite, marquée par le règne exclusif de l’ADEMA-PASJ, l’élection présidentielle de 2002 a porté à la magistrature suprême de l’Etat, le Président Amadou Toumani Touré qui se disait pourtant n’être d’aucun bord politique.
Cela lui avait-il permis d’être équidistant des formations politiques afin de lui faciliter le déblayage des voies d’une vraie démocratie pluraliste ? Bien sûr que non !
En effet sous ATT, la 3ème législature (2002-2007) a consacré une démocratie consensuelle atypique caractérisée par l’absence d’opposition déclarée à l’Assemblée nationale. En fait un seul parti s’était déclaré de l’opposition mais n’ayant pas voix au chapitre, puisque ne disposant d’aucun siège à l’Assemblée Nationale. C’était le parti ‘’BARA’’. Sous ATT, une démocratie dite ‘’Consensuelle’’ s’est imposée ou a été imposée à la classe politique. On a voulu codifier le système consensuel comme une alternative au système majoritaire au lieu de n’y voir qu’une solution d’opportunité forcément limitée dans le temps. Le consensus suppose la présence de forces antagoniques qui au lieu de s’affronter, se font des concessions pour cheminer ensemble pour une raison donnée, pendant un temps donné. Etant donné que le Chef de l’Etat ATT ne se réclamait d’aucune famille politique, alors très vite s’est constituée autour de lui une organisation de la société civile sous l’appellation de ‘’Mouvement Citoyen’’ qui, petit à petit, s’est évertué à jouer autour d’ATT, le même rôle que l’ADEMA-PASJ jouait pour Alpha. Le Président ATT a conduit ses deux mandats sous la bienveillance du ‘’Mouvement Citoyen’’ qui imposait ses desideratas à la nation toute entière.
Comparativement aux deux précédents régimes, le régime Alpha et le régime ATT, celui d’IBK, en tout cas durant son premier quinquennat, avait semblé être le plus empreint de la pratique du multipartisme, même si les dimensions ‘’Démocratie’’ et ‘’bonne gouvernance’’ n’ont été que des vocables vides de sens et de contenu.
En effet, à la différence de ses prédécesseurs, le Président IBK a fait voter par la chambre des députés de la Vème législature, la loi portant statut de l’opposition politique avec l’octroi d’un siège et d’un budget à ce courant politique. Si pour les besoins de l’exercice démocratique, le microcosme politique a semblé être mieux structuré durant le premier quinquennat d’IBK, il faut aussi dire que par faute de bonne gouvernance, le pays n’est pas loin de frôler la catastrophe. La réalité de l’exercice du pouvoir d’Etat s’est essentiellement traduite par la mauvaise gestion des ressources humaines qui est le principal vecteur de la mal gouvernance. C’est tout simplement dire que depuis l’instauration de la 3ème République au Mali en 1992, l’exercice démocratique a tout simplement été, on ne peut plus, à géométrie variable et suivant les desideratas des tenants du pouvoir d’Etat. Donc si aujourd’hui, à l’occasion de la constitution des groupes parlementaires, on constate une ruée sans discernement des partis politiques vers la Majorité présidentielle, il y a vraiment de quoi à être appréhensif quant à une probable régression de l’exercice d’une véritable démocratie pluraliste sous nos cieux.
El Hadj Mamadou GABA
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